Maurine Mercier parle aux répondant·es de 143.ch

Magnifique dialogue entre Maurine Mercier, journaliste RTS basée à Kiev, et les formatrices des répondant·es de La Main Tendue, Mélina Blanc et Elodie Dederding.

Comment se ressourcer pour prendre soin de soi et des autres dans la continuité, tout en faisant face à des récits de vie difficiles.

Merci à Maurine Mercier d’autoriser de publier cette vidéo.

Entretien avec Maurine Mercier, journaliste RTS à Kiev

Code d’activation : 143232411

143.ch reste indispensable et mise sur une visibilité numérique accrue

Zurich, 10.03.2025: À l’occasion de la Journée nationale de l’écoute le 14.3., en référence à son nom, 143.ch – La Main Tendue – informe sur le développement continu de ses services afin de répondre encore mieux aux besoins des gens, en particulier des jeunes. En tant qu’interlocuteur privilégié pour les premiers secours émotionnels en Suisse et dans la Principauté du Liechtenstein, 143.ch est synonyme d’un excellent soutien en situation de crise, ceci depuis de nombreuses années, 24 heures sur 24 et via différents canaux tels que le téléphone, le tchat et le courriel.

143.ch s’adresse à tout le monde!  Services pour les jeunes

En 2024, 143.ch a mené environ 200 000 entretiens. Fait particulièrement remarquable : plus de la moitié des contacts en ligne provenaient de personnes de moins de 40 ans. Et ce, malgré le fait que le total des entretiens – Tél 143, Tchat et Mail – avec des personnes de moins de 40 ans n’est que de 22 %. Cela démontre que la demande croissante de services numériques, en particulier par les jeunes, leur correspond car ils recherchent une aide rapide, anonyme et à bas seuil. 143.ch répond à cette évolution et est train d’élargir son offre pour les jeunes adultes, tout en renforçant sa visibilité en ligne. 

La santé mentale lors de période difficile

En période d’incertitude mondiale, de nombreuses personnes sont à la recherche d’un espace protégé pour partager leurs angoisses ou leurs difficultés de vie. Que ce soit par téléphone ou numériquement, 143.ch offre une oreille attentive. En 2024, la santé mentale a été thématisée dans environ un entretien sur trois. D’autres thèmes (en fréquence décroissante) étaient la gestion de la vie quotidienne, la solitude, les problèmes relationnels, la santé physique, la famille, les pensées suicidaires, le travail et l’éducation, la toxicomanie, les problèmes existentiels, la violence, la spiritualité, la sexualité, la perte et le deuil. La prévention du suicide demeure une problématique très importante pour La Main Tendue. Le thème du suicide a été abordé quatre fois plus souvent en ligne que par téléphone, ce qui souligne l’importance d’offrir une croissance de l’offre numérique.

Nouvelle offre: entretiens en anglais

Depuis janvier 2023, 143.ch propose également des entretiens en anglais avec Heart2Heart. L’année dernière, Heart2Heart a répondu présente plus de 1 200 entretiens avec des personnes qui ne communiquent pas en allemand, en français ou italien. Les appels sont possibles entre 18h et 23h en appelant le 0800 143 000. Vous trouverez de plus amples informations sur www.heart2heart.143.ch.

Avec plus de 700 bénévoles, 143.ch veille à ce que chaque contact soit empreint d’empathie et de qualité. Ces bénévoles sont au cœur de l’organisation et contribuent de manière décisive pour que les personnes en crise reçoivent le soutien nécessaire.

Financements et dons

La mission de 143.ch est financée majoritairement par des dons. La Main Tendue ne reçoit aucun soutien financier du gouvernement fédéral. Chaque don, qu’il soit grand ou petit, contribue à faire en sorte que l’offre de La Main Tendue puisse continuer d’être gratuite et accessible à tous.

Cercles d’écoute à Genève

C’est l’écoute qui permet la parole

Programme et informations

Nouvelle Présidente à la Main Tendue Valais

Photo Patricia
Accueillons Patricia Lorenz, notre nouvelle présidente, prête à augmenter la visibilité du numéro 143 en Valais.

143.ch partenaire de SwissDonations

SwissDonations, une association suisse sans but lucratif fondée à Genève en 2021, s’est donné pour mission de soutenir les ONG suisses en les soutenant dans leurs activités de collecte de fonds. Leur plateforme numérique disponible en français, allemand et anglais simplifie le processus de don de manière sécurisée.

SwissDonations collabore avec 19 associations suisses actives dans divers domaines tels que la santé, le social, l’environnement, l’aide humanitaire, le développement et les droits humains. Les personnes qui le souhaitent peuvent facilement effectuer des dons à l’association souhaitée et utiliser la plateforme pour gérer leurs transactions.

En outre, la plateforme offre la possibilité de collecter des fonds lors d’événements spécifiques, comme des anniversaires, des jubilés, des courses d’entreprise, etc pour l’association de son choix. Il est également possible de commander des cartes cadeaux à offrir à ses proches grâce auxquelles ils peuvent ensuite soutenir une association sur la plateforme.

Nous vous invitons à visiter la page du 143.ch sur SwissDonations  pour nous soutenir de quelque manière que ce soit.

Votre contribution compte !

Services de soutien en anglais très demandés

Après neuf mois de mise en service, « Heart2Heart » est de plus en plus sollicité

Après des débuts hésitants, le nombre d’appels a augmenté en juillet et août pour atteindre une moyenne de quatre conversations par soir. A ce jour, plus de 660 entretiens ont eu lieu.

« Heart2Heart » est joignable tous les jours de 18 à 23 heures au numéro 0800 143 000.

Nous remercions toutes les personnes qui ont attiré l’attention sur la nouvelle ligne anglophone « Heart2Heart » via des portails d’information anglophones en Suisse, des newsletters de la communauté anglaise, les médias sociaux ou des contacts directs.

Des dépliants et des affiches peuvent être commandés auprès du poste régional de Zurich.

Journée mondiale de prévention du suicide du 10 septembre 2023: pensées suicidaires en augmentation

Cette année encore, La Main Tendue est confrontée au thème du suicide à une fréquence supérieure à la moyenne. En 2023, le nombre de mentions a augmenté de plus de 34% par rapport aux 7 premiers mois de 2019, et de près de 11% par rapport à la même période en 2022. Le 143.ch est l’une des plus anciennes organisations actives dans le domaine de la prévention du suicide, par le biais de nombreuses activités et la présence d’expert·es au niveau local et national.

Tendance à la hausse ininterrompue de la suicidalité

prévention-suicide-tel-143Alors que de nombreux thèmes d’appels sont retombés à des niveaux prépandémiques, le nombre d’appels évoquant des pensées suicidaires continue d’augmenter. Concrètement, ce thème est abordé plus de 19 fois par jour au cours des 7 premiers mois de 2023. Au cours de la période de comparaison de 2019, la valeur était nettement plus basse avec un peu plus de 13 mentions.

Bien que les entretiens avec des mineurs ne représentent qu’environ 1% du total, le nombre d’entretiens avec ce groupe d’âge a augmenté de plus de 8% entre janvier et juillet 2023. Comme ce groupe d’âge est connu pour ne pas privilégier les conversations téléphoniques, on ne peut qu’imaginer la détresse qui les pousse à appeler.

Le suicide peut être évité : en parler apaise

La Main Tendue contribue à la prévention du suicide en offrant une oreille attentive et empathique aux personnes qui souhaitent partager leur désespoir, leurs inquiétudes et leur stress.

143.ch s’engage aussi lors d’événements régionaux de prévention et au sein de réseaux de lutte contre le suicide, donne des conférences et organise des cours de formation à l’écoute en adéquation avec la demande des entreprises et des institutions.

La volonté d’adopter une attitude empathique et d’aborder ouvertement le thème des « pensées suicidaires» revêtent aujourd’hui plus que jamais une importance capitale et peuvent apporter une contribution significative à la prévention du suicide.

Parler peut sauver. N’hésitez pas à aborder les personnes de votre entourage qui vous semblent en avoir besoin. 

10 septembre: Journée mondiale de prévention du suicide

À cette occasion, nous vous invitons à découvrir un magnifique dialogue entre un répondant du 143.ch – La Main Tendue et la journaliste Francesca Sacco. Cet échange très émouvant est extrait de l’ouvrage « La magie de l’écoute»*

Francesca Sacco. – Questce qui vous a amené à faire ce travail?

Jean-Philippe. – Pendant longtemps, sans connaître véritablement l’échec, j’étais régulièrement dans des situations de non-accomplissement. J’ai fini par me retrouver en très mauvaise posture, avec deux options: me laisser aller ou rebondir. Me suicider était quelque chose que j’envisageais parfois en allant me coucher le soir, mais je savais au fond de moi que je voulais rebondir. Un jour, j’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui m’a amené à faire un travail sur moi-même. J’ai eu envie de devenir celui que j’étais vraiment. Puis, dans un stage de développement personnel, un formateur m’a donné des infos sur l’écoute active. Pourquoi est-ce que j’ai noté ces infos? Je ne sais pas. Mais dans les jours qui ont suivi, j’ai pris contact et, une année plus tard, je devenais bénévole. C’est un chemin qui n’a pas été facile…

FS. – Pourquoi?

JP. – Parce que c’est un travail qui demande une déconstruction plus ou moins importante selon les individus. Donc c’est une forme de douleur. Mais c’est aussi ce qui permet de se reconstruire. C’est long. Le processus de formation dure neuf mois. Et ensuite, ce n’est pas terminé. De loin pas. Mais je sentais que le fait d’aider les autres m’aiderait moi-même. En fait, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée en matière d’accomplissement personnel. Travailler ici n’est pas une obligation, mais je me sens obligé de donner de ma personne pour me sentir mieux. Aujourd’hui, je fais partie de la commission des formateurs et cette nouvelle position me pousse encore plus en dehors de ma zone de confort. Avec les stagiaires, la remise en question est quasi permanente.

FS. – Comment avez-vous senti que vous pourriez faire ce travail?

JP. – (Réfléchit longuement.) C’était une sorte de certitude. Pas une certitude de réussite, mais la certitude que j’y trouverais une place, ma place. Je croyais en ma volonté d’être là, voilà.

FS. – Une sorte de sentiment indiscutable d’être au bon endroit?

JP. – Oui, c’est bien résumé. (Réfléchit.) Vous pourriez répéter?

FS. – Une sorte de sentiment indiscutable d’être au bon endroit…

JP. –… au bon moment. Vous pouvez rajouter « au bon moment».

FS. – Quelles sont les qualités sur lesquelles vous pensiez pouvoir vous appuyer?

JP. – Ne sachant pas où j’allais, je pouvais difficilement prétendre quoi que ce soit; je pouvais juste mettre en avant ce que j’avais envie de devenir. J’ai eu la chance d’avoir de très bons formateurs, qui m’ont aidé à boucler le processus. Le fait que je me sois énormément investi a été l’un des facteurs clés de la réussite. J’ai combattu les résistances de mon ego pour me comporter en «bon petit soldat». C’est pour ça que je dis que le processus s’est un peu fait dans la douleur. J’ai tout accepté, tout appliqué avec soumission – même si je n’aime pas ce mot, parce qu’il est un peu péjoratif.

FS.–Vous diriez que vous aviez une posture apprenante?

JP. – Oui, tout à fait.

FS. – Donc, vous veniez pour apprendre?

JP. – Oui et non, parce que je n’avais pas vraiment conscience d’être en train d’apprendre. Sur le moment, je ne crois pas avoir réfléchi aussi loin. J’ai accepté de me remettre en question sans imaginer ce que ça impliquerait. Je ne savais pas ce que j’apprendrais. Et j’ai appris des choses que je n’aurais jamais soupçonnées.

FS. – Comme quoi?

JP. – Vous savez, certains appelants disent qu’ils n’arrivent même pas à se lever le matin… Quand vous découvrez cette réalité, c’est comme si deux mondes entraient en collision.

FS. – Vous avez découvert un autre monde?

JP. – Oui.

FS. – De loin, on pourrait penser que vous menez une double vie…

JP. – Oui, tout à fait. C’est une double vie, mais ça n’a rien de douloureux. Je ne pourrais pas vivre en permanence dans ce monde, mais je ne pourrais pas non plus y renoncer complètement. J’ai besoin de venir travailler ici. Cette double vie me convient parfaitement dans le sens où… je peux utiliser un mot cru?

FS. – Oui.

JP. – J’ai le sentiment que ça m’empêche de devenir con. L’écoute me nourrit. J’ai besoin de la nourriture que je reçois à travers les appelants, la formation continue et les échanges avec mes collègues. Il y a aussi la nourriture que je trouve en pratiquant l’introspection. Les appelants m’aident beaucoup à développer cette capacité à me nourrir moi-même.

FS. – C’est-à-dire?

JP. – Être confronté à des personnes qui, pour la plupart, sont beaucoup plus en souffrance que moi me permet de prendre conscience de ce que j’ai. On entend parfois parler dans les médias des gens qui ne vont pas bien, mais là, c’est du concret, je leur parle, je suis en interaction avec eux. Ils m’obligent à revoir mes idées préconçues, à développer mon empathie, à sortir de ma zone de confort. Et ça, c’est gratifiant. Quand je suis épuisé parce qu’il est trois heures du matin et que je sais que je vais devoir enchaîner avec une journée de boulot, je me dis: « Ouah, c’est incroyable ce que je fais! »

FS. – Parlez-moi des nuits.

JP. – On commence à minuit et on finit à huit heures du matin. J’arrive parfois en avance, aux alentours de vingt-deux heures trente, et j’essaie de dormir un peu avant de prendre mon service.

FS. – Est-ce que vos proches savent que vous travaillez ici?

JP. – Oui. Je le leur ai dit pour ne pas vivre dans les non-dits. Ce serait quand même paradoxal de tenter d’éviter les non-dits ici et de les accepter à l’extérieur!

FS. – Un appel qui vous a particulièrement marqué?

JP. – (Réfléchit.) Il y en a un qui remonte à une semaine. Statistiquement, le suicide concerne 1% des appels, donc c’est très rare. Jusque-là, je n’avais encore jamais parlé à quelqu’un qui me dit qu’il va mourir, là, tout de suite. Eh bien, c’est ce qui est arrivé. Un homme a téléphoné depuis un pont d’autoroute, il était prêt à sauter. Il appelait pour la première fois et il était un peu honteux de le faire. Il pleurait beaucoup. Mais ça s’est très bien terminé, puisqu’il n’est pas passé à l’acte. Il est rentré chez lui, il a pris une douche et est allé se coucher.

FS. – Comment vous le savez? Il vous a rappelé?

JP. – Non, il est resté en ligne. Il a quitté ce pont et il est monté dans sa voiture pour rentrer chez lui. En l’espace d’une heure, nous sommes arrivés, ensemble, à renverser la situation. J’en ai encore la chair de poule quand je vous en parle. Je veux dire, j’ai une boule dans la gorge. (Les larmes lui montent aux yeux.) Je suis désolé… (Observe un long silence.)

FS. – Qu’est-ce que vous lui avez dit?

JP. – Je ne sais pas si je peux résumer ça en quelques mots. (Observe un long silence.) C’est drôle, ça s’est bien terminé et pourtant je suis encore émotionné… C’était un échange incroyable. Je l’ai entendu, écouté. J’ai exprimé mon inquiétude pour lui, tout en étant très attentif à ce qu’il me disait. Il souffrait le martyre depuis sept mois, il était épuisé. D’ailleurs, il disait qu’il était au bout du rouleau. Ensuite, je me suis permis de lui poser des questions et je n’ai pas eu peur de le confronter à sa situation ni de le voir descendre encore plus profondément dans sa souffrance. À un moment donné, j’ai senti qu’il fallait tenter autre chose et je me suis livré un peu, en fait. Je lui ai demandé s’il était d’accord que je lui fasse part de quelque chose de personnel. Il a répondu oui et je lui ai raconté un épisode difficile de ma vie, en quelques mots, sans entrer dans les détails. Ça a déclenché quelque chose en lui. Il m’a dit: «Alors vous aussi, vous pouvez ressentir… ?» Et tout à coup, il s’est mis à me parler comme si j’avais été physiquement près de lui. Nous avons parlé de manière plus intime. J’ai senti qu’il commençait à entrevoir une autre issue. Il a cessé de pleurer, a respiré un grand coup et a soupiré: « C’est incroyable ce que tu me dis… »

FS. – Vous vous êtes tutoyés?

JP. – Oui, au bout d’une demi-heure.

FS. – Comment est-ce que vous vous sentiez?

JP. – (Réfléchit.) C’était un moment solennel. Pas dans le sens « grand discours». On aurait dit un aparté au milieu de cet échange un peu confus. Je me souviens que j’étais calme. Je n’ai pas eu besoin de chercher mes mots, j’ai parlé comme je le sentais, lentement. J’étais très authentique, vraiment très authentique… C’était solennel dans le sens que ça avait de l’importance – et ça, je suis sûr qu’il l’a ressenti. Il est passé du statut de la victime qui est en train de grelotter sur ce pont à celui de la personne qui s’apprête à accueillir une confidence. Mais nous n’étions pas dans un rôle inversé, hein. J’étais toujours «garant du cadre», comme on dit.

FS. – Est-ce que ce travail vous a changé?

JP. – Je dirais plutôt qu’il m’a transformé. Le verbe changer signifierait que je ne suis plus le même; or je suis toujours le même, mais avec quelque chose en plus. Je n’ai pas envie de renier mon passé, car c’est une partie de moi-même qui m’a mené là où je suis aujourd’hui. Je suis devenu plus serein, plus confiant. Moins sensible aux critiques comme aux compliments. Quand je surréagis, je suis capable de le reconnaître et de me reprendre. Mon ego me manipule encore, mais je sais que je peux le déjouer. Et si j’ai toujours des jugements, j’arrive à les stopper et je n’ai pas besoin de m’autoflageller en pensant « je suis nul » parce qu’un jugement m’a traversé l’esprit. En fait, je suis toujours dans le jugement, mais moins souvent et moins longtemps. Un autre truc que j’ai observé, c’est que je suis capable d’éprouver des émotions plus fortes, plus profondes. Par exemple, il m’arrive de pleurer en regardant un film. C’est quelque chose que je n’aurais pas pu faire il y a dix ou quinze ans. (Pause) En fait, je transfère dans ma vie privée des choses que j’apprends ici et vice versa. Mais je refuse d’être un répondant pour mes proches: pour eux, je reste Jean-Philippe.

FS. – Vous avez des rituels?

JP. – Non, du tout. Mais c’est intéressant, comme question. Parfois, je fais exprès de répondre depuis une autre pièce que le bureau d’écoute, pour éviter la routine. Je sais qu’il y a des collègues qui ont besoin de rituels ou de repères, mais moi, je me méfie des habitudes, de toutes les habitudes, y compris de celle qui consiste à répondre toujours depuis le même endroit. Et c’est drôle, parce que j’ai l’impression que ça change ma façon de répondre. Je ne réponds pas mieux, ni plus mal, mais différemment. Et c’est le but. J’ai envie de me maintenir dans un état d’attention permanente pour être aussi réactif et créatif que possible. Parce que vous ne savez jamais à quoi vous attendre quand vous commencez un service. Est-ce qu’il y aura dix, vingt ou quarante appels ? Des histoires dramatiques, surprenantes?

FS. – Donc, le fait de ne pas avoir de rituels devient un rituel pour éviter la routine…

JP. – C’est ça. Mon rituel est de ne pas avoir de rituels. (Sourit.) J’ai envie de rester complètement neuf, ouvert, et Dieu sait que c’est difficile ! En fait, je n’y arrive jamais…

FS. – Pourquoi?

JP. – Parce que c’est illusoire. J’ai quarante-cinq minutes de route à faire pour arriver ici. J’essaie d’utiliser ce laps de temps pour me mettre dans une bonne disposition d’esprit. C’est une forme de préparation mentale. Mais quarante-cinq minutes, ça reste court… Alors si, en plus, je devais exécuter des rituels, ce serait tout simplement impossible! Mais c’est une vraie question, ça : comment réussir à passer d’un monde à l’autre…

FS. – Vous faites quoi pour vous ressourcer?

JP. – Je profite des moments de partage avec l’équipe. Mais je crois à la nécessité d’une réponse globale. Au fond, ça relève de l’hygiène de vie. Donc, j’essaie de vivre d’une manière qui ne soit pas contradictoire avec ce que je fais ici. Je cherche à m’entourer de gens sereins, ouverts. Et là, je constate une chose étonnante, c’est que ce travail n’est pas seulement un enrichissement. Il comporte aussi un risque d’appauvrissement.

FS. – Comment ça?

JP. – Eh bien, il y a des gens que je ne vois plus… Je me suis rendu compte que nous n’avions plus les mêmes envies ou les mêmes intérêts. Il y a des soirées auxquelles je ne vais plus, parce que je sais d’avance que je ne me sentirai pas à l’aise. Parfois, je souffre de ne pas pouvoir parler davantage de ce que je vis ici sur le plan humain. C’est comme s’il y avait deux mondes qui ne se rencontraient pas…

FS. – Mais ici, vous êtes tous du même monde?

JP. – Oui, exactement. On est une cinquantaine et on sait qu’on peut se comprendre, parce qu’on parle le même langage. Bon, d’accord, il y a des fois où on n’y arrive pas… mais dans ce cas on le sait aussi et ce n’est pas un problème. On ne cherche pas nécessairement à se comprendre tout le temps.

FS. – Comment se déroule un appel?

JP. – Il n’y a pas d’appel type. Parfois, on entend juste une respiration et la personne raccroche aussitôt. On peut aussi avoir affaire à un habitué qui, à force d’appeler, ne sait même plus comment se présenter. Tous les cas de figure sont possibles. Moi, j’essaie de créer tout de suite de la confiance, parce que c’est seulement à partir de là qu’on peut faire un bout de chemin ensemble. Mais très souvent, le plus intéressant c’est ce qui se passe une fois que la personne a raccroché.

FS. – Comment vous le savez?

JP. – Eh bien, parce qu’il y a beaucoup d’habitués avec lesquels on est par définition amené à reparler, et qu’ils nous le disent. Et puis c’est assez normal de repenser à une conversation… et c’est souvent à ce moment-là que des choses peuvent se débloquer. (Pause) Si je résume, un appel c’est: accueillir, mettre en confiance, créer un lien et essayer de faire un petit bout de chemin ensemble.

* La magie de l’écoute. Entretiens avec des bénévoles de La Main Tendue et de S.O.S Amitié. Editions Georg, 2018, 224 pages. EAN13:9782825710852. Peut être commandé directement sur le site de l’éditeur.
Francesca Sacco a su, avec cet ouvrage, ouvrir une fenêtre sur le monde de l’écoute, pour mettre en mots un véritable bol d’air d’humanité, de bienveillance et d’attention portée à l’autre.

Tanja Kocher élue présidente du comité national de l’Association Suisse du 143.ch

L’assemblée des Délégué·e·s de l’Association suisse « 143.ch – La Main Tendue » a élu Tanja Kocher comme Présidente de l’Association Suisse. Elle succède à Christian Budry.

Tanja-Kocher-Präsidentin-Vorstand-Schweizer-Verband-Tel-143Tanja Kocher (56 ans) est une experte en communication, propriétaire de Holisticom Consulting, une société de conseil en leadership stratégique et en communication. Elle est aussi active en tant que conférencière auprès de Rochester-Bern Executive Programs et d’autres écoles de commerce. Cette historienne de formation bénéficie d’une longue expérience en gestion, en tant que responsable de la communication et du marketing dans le secteur financier et de l’administration fédérale. Auparavant, elle a également travaillé comme rédactrice à Radio SRF.

En tant que présidente de l’Association suisse, Tanja Kocher souhaite soutenir La Main Tendue pour lui permettre de conserver son fort impact social et de continuer à se développer, tout en tenant compte des atouts régionaux.

 

« Nombre d’entre nous souffrent de solitude, d’angoisse par rapport à l’avenir, de problèmes relationnels et de stress. Les services que nous offrons permettent de soutenir les personnes se trouvant dans des situations de vie difficiles et ce, d’égal à égal. L’échange à bas seuil et personnel est et demeure important. Le 143.ch a besoin de l’oreille attentive des bénévoles, du grand coeur des donateurs et de personnes engagées au niveau politique. C’est pour cela que je souhaite m’investir.»

 

L’ancien Président, Christian Budry, est décédé en janvier 2020. La disparition de cette personne compétente, engagée et chaleureuse a laissé un grand vide. Le Comité national est donc d’autant plus heureux d’avoir trouvé en Tanja Kocher une digne héritière.

Aux bénévoles anonymes qui ont aidé ma maman

« J’ai encore appelé le 143. Heureusement qu’ils sont là ! », voilà une phrase que prononçait souvent la mère de Francesca Sasso. Découvrez son témoignage et comment 143.ch a pu aider sa mère.

J’avais environ huit ans quand La Main Tendue (143.ch) a lancé une campagne d’affichage dans toute la Suisse. On y voyait l’une de ces cabines téléphoniques de l’époque, avec des vitres à petits carreaux opaques qui laissaient deviner la silhouette d’une personne en train d’appeler. Je me souviens être restée un long moment devant le panneau. J’avais enfin la réponse à une question que je me posais depuis longtemps : voilà qui sont ces gens qui consolent ma maman !

Quarante ans plus tard, devenue journaliste professionnelle, j’ai eu une autre révélation. J’étais en panne de sujets d’enquête et, comme toujours dans ces cas-là, je m’étais mise à lire tout ce qui me tombait sous la main. Ne me demandez pas comment c’est arrivé, mais j’ai trouvé sur internet un rapport d’un observatoire de la téléphonie sociale. Il y avait une phrase qui disait en substance que les services d’écoute comme La Main Tendue sont entourés de mystère, à cause de l’anonymat et de l’absence de contact visuel. On ne sait rien sur ces bénévoles qui se relaient 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, toute l’année, pour répondre aux appels de la population.

La phrase suivante m’a fait bondir de ma chaise : les auteurs affirmaient que ce voile de mystère est une bonne chose, car si l’appelant savait à quoi ressemble le bénévole qui se trouve au bout du fil, le charme serait rompu, la magie s’envolerait. Je conçois volontiers que l’anonymat soit utile. J’imagine même volontiers qu’il rassure. Mais comment peut-on soutenir que le fait de savoir est nuisible ?

J’ai bâti toute ma carrière sur la recherche de la connaissance et de la vérité. Quand je suis entrée en journalisme, on m’a appris que c’était précisément cela, le métier : la recherche de la vérité. Bien avant d’être objectif, le journaliste se doit d’être honnête. Et si l’objectivité n’est pas toujours à notre portée, il est toujours possible d’être honnête, car nous savons tous, au fond de nous, si nous le sommes ou si nous ne le sommes pas.

Ainsi, cette petite phrase a réveillé en moi une vocation profonde. Je me suis figée sur ma chaise, saisie par la gravité de l’instant. J’ai décidé de démontrer que non, le charme et la magie ne disparaîtront pas si les bénévoles du 143 se dévoilent. Je leur consacrerais un livre, dans lequel je leur donnerais la parole. L’espace d’une enquête, je serais le 143 du 143.

Le premier témoignage m’a fait l’effet d’un choc culturel. Si j’ai appris une chose au cours de mes longues années de métier, c’est que j’ai l’obligation, en tant que journaliste, de dire la vérité ; mais les gens que j’interroge ont le droit de mentir – et ils ne s’en privent pas. Or j’avais là, devant moi, une personne qui sonnait parfaitement authentique. C’était en fait la personne que j’avais toujours secrètement rêvé d’interroger !

Les mois ont passé. Les entretiens se suivaient et j’étais contente d’interviewer ces bénévoles avec beaucoup de professionnalisme, une juste distance émotionnelle, sans chercher dans leurs témoignages des correspondances avec mon propre cheminement. Mais un jour, cette phrase a brusquement refait surface : ” J’ai encore appelé le 143. Heureusement qu’ils sont là ! ”

Se peut-il que derrière la journaliste engagée à servir un intérêt supérieur, il y ait eu cette petite fille de huit ans qui espérait peut-être pouvoir, un jour, rendre aux bénévoles du 143 ce que sa mère leur avait pris ? D’une certaine manière, je suis une enfant du 143. La chaleur humaine que ces bénévoles essaient de répandre dans le cœur des appelants ne suffit pas toujours à rallumer une flamme de vie. Mais mon goût pour la recherche de la vérité, ma sensibilité journalistique prouvent que des paroles bienveillantes peuvent, par une sorte de dissémination indirecte, profiter à une autre personne que celle à qui on les dit.

Rien ne se perd en ce monde.

* La magie de l’écoute. Entretiens avec des bénévoles de La Main Tendue et de S.O.S Amitié. Editions Georg, 2018, 224 pages. EAN13:9782825710852. Peut être commandé directement sur le site de l’éditeur : https://www.georg.ch/la-magie-de-l-ecoute